Que vous soyez éleveur ou simple adoptant, savoir repérer la puberté d’une rate peut vous simplifier la vie et vous éviter bien des ennuis. Heureusement, c’est très simple ! Nous vous expliquons ici comment procéder, et les conséquences de votre diagnostic, en particulier par rapport au risque de gestation et à la séparation des sexes dans une portée.
Avant la puberté
Comme nous vous l’avons expliqué dans le focus du numéro précédent, il est possible de déterminer le sexe d’un rat dès sa naissance. Pourtant un « piège » déroute parfois les débutants, même pour des petites femelles de plusieurs semaines : l’apparente absence d’orifice vaginal. Pour le dire trivialement, on pourrait croire qu’il « manque un trou pour que ce soit une fille ! » C’est ainsi que l’on voit régulièrement des propriétaires de rats suspecter que leur jeune rat est « hermaphrodite », alors qu’il ne s’agit généralement que d’une femelle non pubère.
C’est précisément sur ce phénomène que l’on s’appuie pour le « diagnostic » de la puberté. Tout le monde sait que les ratons naissent avec les yeux et les oreilles « soudés » : il en va de même pour la vulve des femelles. La résorption de cette « soudure », appelée perméabilité ou ouverture vaginale, indique que la puberté est bientôt achevée. C’est un critère assez pratique et pertinent pour qu’en laboratoire, l’âge de la puberté des rates soit généralement défini… comme l’âge de l’ouverture vaginale !
Puberté et ouverture vaginale
La puberté (ensemble de transformations à l’issue desquelles le raton deviendra un adulte fertile) est un processus progressif d’une certaine durée, et non une métamorphose brutale. Elle commence par un « réveil » de l’hypothalamus (une partie du cerveau) qui va déclencher une production accrue d’hormones en cascade (hormones hypophysaires, hormones sexuelles) et le développement des organes génitaux et des caractères sexuels secondaires. Elle s’achève lorsque l’animal devient capable de se reproduire, soit, chez la rate femelle, lors de l’apparition des chaleurs.
L’ouverture vaginale se produit un peu avant la fin de la puberté et fournit donc un excellent repère pour savoir si une rate n’est pas encore pubère, si elle le sera bientôt, ou si elle l’est peut-être déjà. C’est un repère plus pratique que les autres caractéristiques de la puberté : mesurer des taux d’hormones est compliqué et invasif, et si l’on attend les chaleurs, cela risque d’être déjà « trop tard ». Les premières chaleurs surviennent quelques jours après l’ouverture du vagin.
Femelle « fermée »
Femelle « ouverte »
Seule cette femelle présente un risque de gestation si elle a été mise en présence de mâles.
L’ouverture vaginale est facile à voir. Ci-dessus, observez deux photographies de jeunes femelles d’un âge comparable, l’une juste avant, l’autre juste après ouverture vaginale. De haut en bas sur chaque photo, vous pouvez repérer la papille urinaire (petite protubérance abritant l’extrémité de l’urètre, d’où est émise l’urine – parfois prise à tort pour un pénis), puis l’entrée du vagin (fermée à gauche, ouverte à droite), puis l’orifice anal. Pour mieux visualiser les choses, vous pouvez aussi imaginer que vous observez une coupe de l’arrière-train de votre rate couchée sur le dos. Chez une rate fermée l’orifice du vagin ressemblerait alors à une soucoupe ou une coupelle ; chez une rate ouverte, à un petit entonnoir plongeant à l’intérieur de son corps.
L’âge à la puberté : un faux-ami
Savoir visualiser cette ouverture vaginale est bien plus sûr que se fier à l’âge de la rate. Chez les amateurs, on retient souvent que les rates deviennent sexuellement matures entre 5 et 6 semaines. Or, quand on consulte la littérature scientifique et vétérinaire, les âges varient considérablement : de 4 à plus de 15 semaines !
L’âge à la puberté est influencé par de nombreux facteurs : la génétique, la consanguinité, la taille, le poids, la vitesse de croissance, l’alimentation, la présence d’adultes mâles ou femelles, la manipulation, la saison, l’éclairement, la température ambiante, le nombre de petits, la proportion de mâles et femelles dans la portée, même des phénomènes très fins comme la répartition des sexes dans les cornes utérines : les fœtus femelles « stockés » entre deux mâles seront plus précoces. Autant dire que l’âge est un critère de puberté plus que fluctuant.
Le graphique suivant illustre l’évolution du poids et l’occurrence de l’ouverture vaginale en fonction de l’âge, dans une population très homogène de femelles d’une même souche de laboratoire. Même en contrôlant un grand nombre des paramètres précédents, l’âge de la puberté varie dans une fourchette de plusieurs jours (de 34 à 41). En revanche le poids corporel à l’ouverture vaginale est un critère beaucoup moins variable (autour de 100 grammes dans cette population). Conclusion : on gagne toujours à apprendre à « voir » l’ouverture vaginale, car l’âge moyen de la puberté ou les critères de type « séparer les sexes à 5 semaines » sont en fait très peu fiables !
Évolution du poids d’un groupe de rates femelles (en ordonnée) en fonction de leur âge en jours (en abscisse, compté à partir de la mise-bas).
Le rectangle plus foncé indique la zone âge-poids dans laquelle l’ouverture vaginale s’est produite chez ces femelles.
Graphique tiré de Physiology of Reproduction, K. Maeda & al., dans The Laboratory Rat, G. Krinke éd., 2000.
De l’utilité de savoir reconnaître la puberté
Si vous êtes éleveur, ou avez une portée « kinder surprise », l’observation de l’ouverture vaginale peut vous aider à déterminer le moment où il faut séparer les sexes pour éviter que les petits ne se reproduisent entre eux. Si les femelles ne sont pas ouvertes aux 5 semaines habituellement recommandées, il sera « tout bénéfice » de laisser tous les petits ensemble et avec leur mère jusqu’à la puberté effective. Inversement, cela peut vous éviter une mauvaise surprise si vos petits sont exceptionnellement précoces. Notez que les mâles ne sont jamais pubères avant leurs sœurs (tant que les femelles sont fermées, leurs frères ne peuvent pas non plus saillir leur mère ou une autre femelle fertile) et que les premières chaleurs, rarement fécondantes, ne surviennent pas moins de 24 heures après l’ouverture vaginale (ce qui vous laisse le temps de séparer sans risque si vous contrôlez l’ouverture au moins une fois par jour.)
En particulier, si vous ne possédez pas de mâles adultes, c’est particulièrement intéressant : si les ratonnes ne sont pas ouvertes à 5 semaines (ce qui est assez fréquent), tous les petits pourront finir leur sevrage social avec vos femelles. Cela vous évitera les complications et les risques qu’impliquerait le transfert des ratons mâles chez une tierce personne : difficultés à trouver une personne volontaire, transport, risques sanitaires, risques de blessures avec un mâle adulte que l’on ne connaît pas... qui ne méritent pas d’être courus pour moins d’une semaine.
Si vous êtes adoptant, en particulier si vous choisissez d’aller à l’animalerie ou chez un particulier peu expérimenté, c’est également très utile ! Les âges et sexes estimés par les vendeurs ne sont pas toujours très fiables. En apprenant ce critère, vous ne confondrez pas un mâle aux testicules non descendues et une femelle non pubère, et, si la femelle qu’on vous propose est ouverte, vous saurez qu’un risque de gestation existe (souvenez-vous que même si le jour J votre femelle n’était pas avec des mâles, elle a pu l’être lors du transport ou avant votre visite). Vous pourrez alors prendre les mesures appropriées (avortement par injection chez un vétérinaire par exemple) ou vous préparer à l’accueil d’une éventuelle portée.
Âge et poids de rats de différentes origines au cours de la maturation sexuelle.
Les mâles sont toujours fertiles bien après les femelles dans une souche donnée.
Tableau adapté de ``Sexual maturation and fecundity of wild and domestic Norway rats (Rattus norvegicus)’’, B. R. Clark et E. O. Price, J. Reprod. Fert. (1981), 63, p.215-220.
Texte : Artefact. Photos : Choucha, Ancalimë.