Le Rat Park
Une expérience sur l’addiction qui nous en apprend aussi sur les rats
La boîte de Skinner
Au début des années 1930, B.F. Skinner invente un dispositif expérimental : la boîte de Skinner. Elle permet aux scientifiques d’étudier les différents mécanismes de conditionnement, en associant chez l’animal un comportement à une conséquence positive ou négative.
Par exemple, la boîte peut être classiquement composée d’un levier et d’un distributeur de nourriture. Lorsque le rat appuie sur le levier, il obtient de la nourriture en récompense. Cela crée un renforcement positif qui augmente la probabilité d’apparition du comportement.
Ce modèle a été utilisé pour étudier le potentiel addictif des drogues. Les rats étaient isolés dans une boîte contenant un levier inactif, et un levier dont l’activation est récompensée par une injection de drogue. Les résultats de ces expériences révèlent que les rats ont tendance à s’auto-administrer la drogue et à en devenir dépendants.
Les scientifiques ont ainsi longtemps admis que l’addiction était uniquement due aux propriétés intrinsèques des substances associées, et que le produit suffisait à entraîner à lui seul une dépendance.
L'étude du Rat Park
En 1978, Bruce K. Alexander remet en cause ce principe, en affirmant que l’environnement du sujet influe largement sur la dépendance qu’il développe envers une drogue. Remarquant que les rats sont des êtres sociaux comme les hommes, il décide de tenter de démontrer sa théorie en les choisissant comme modèles.
Avec son équipe, il entreprend la construction d’un « Rat Park » dans son laboratoire : un grand parc de jeux pour rats avec des tunnels, des cachettes, des roues d’exercice… Un vrai petit paradis ! Il y place 8 mâles et 8 femelles et leur met à disposition un biberon d’eau, et un biberon contenant une solution de morphine.
Leur consommation de morphine a été comparée avec celle d’un autre groupe de rats, tous isolés dans de petites cages.
Globox, rat réhabilité de laboratoire. (Association Les Rat’mours de NAC)
Cette expérience, effectuée plusieurs fois avec différentes méthodes, a révélé que les rats isolés et sans contacts sociaux buvaient jusqu’à 19 fois plus de solution de morphine que les rats de la colonie qui manifestaient une préférence significative pour l’eau plate. Des résultats étonnants furent également obtenus en ajoutant de la naloxone, un inhibiteur des effets des opioïdes, à la solution morphinique : les rats du Rat Park ont commencé à en boire davantage, la morphine n’ayant plus d’effets.
Dans une autre expérience, il a placé dans le Rat Park des rats en cage qui n’avaient à leur disposition que la solution morphinique pendant 57 jours : au changement d’environnement, entre la morphine et l’eau plate ils ont choisi de consommer majoritairement l’eau plate malgré des symptômes de sevrage décrits comme mineurs par B. K. Alexander.
Il remarque que d’une manière générale, les rats du Rat Park rejettent la solution de morphine dès lors que la concentration est suffisante pour modifier leur comportement en société.
La préférence des rats en cage pour la morphine serait donc due au moins en partie à l’isolement, ce qui appuie sur la grégarité et le besoin d’interaction des rats. D’autre part, la consommation de drogue en petite quantité n’entraîne pas systématiquement une dépendance dans le groupe des rats sociaux.
Cette étude eut un grand succès auprès des étudiants de l’université de Bruce K. Alexander qui espérait ouvrir la voie à d’autres études prouvant que le produit en lui-même n’est qu’une infime partie du problème de la toxicomanie chez l’homme. Mais en contradiction totale avec les théories de l’addiction de l’époque elle s’est effondrée face aux réactions négatives de la presse grand public et fut rapidement oubliée, refusée par de grandes revues scientifiques. Le « Rat Park » ferma rapidement faute de financements, ne permettant pas de continuer les recherches.
En 2005 un ouvrage controversé de Lauren Slater remet en lumière cette étude aux yeux du grand public. Elle est aujourd’hui mieux connue et souvent citée. De nouvelles expériences sont venues appuyer ces résultats bien que d’autres aient eu des résultats mitigés, moins significatifs que ceux de cette expérience.
Il est actuellement admis que le phénomène de dépendance est complexe et qu’il implique de nombreuses dimensions dont l’environnement du sujet et les relations qu’il entretient, ce qui confirme la vision de Bruce K. Alexander de l’addiction comme un problème social.
Références :
▶ B. K. Alexander, “Effect of Early and Later Colony Housing on Oral ingestion of Morphine in rats”, Pharmacology Biochemistry & Behavior, Vol.15, 1981.
Des associations comme White Rabbit ou GRAAL oeuvrent pour réhabiliter des animaux de laboratoire en bonne santé physique et psychologique. Bien que la réhabilitation soit de plus en plus courante, cette possibilité légale qui s’inscrit parmi les mesures pour améliorer les conditions de vie de ces animaux est encore méconnue. Des milliers d’animaux ont ainsi pu être accueillis dans des familles aimantes après leur vie au laboratoire.
Texte : Valhalla. Photo : Lyu’Nam