Pourquoi as-tu choisi le rat comme animal de compagnie en 2007 ?
À la base je me renseignais pour mon jeune frère qui envisageait d’en prendre un. Étant étudiante dans un studio de 15m², je me suis dis que cette espèce pourrait être une bonne alternative au chien ou chat et j’ai franchi le pas quand un de mes camarades de lycée a eu une portée kinder. Malibu et Whisky ont donc été les premiers d’une longue série de ratous.
Peux-tu nous faire un bilan de tes huit ans d'élevage ?
Je suis globalement satisfaite de cette lignée PED que j’ai démarrée en 2011 par le croisement d’ERT 51 & RTI Tequila Paf. Je suis partie sur trois branches de fondateurs (NAN Carotène & ALC Sambuca - ALC-ABR Limoncello & ALC Sambuca - RB Amsterdam Explorator & LAD Luxembourg Black Lager) que j’ai ensuite croisées ensemble pour faire du linebreeding à partir de 2014. Le caractère fort s’est bien amélioré même si on reste sur des rats à tendance dominante, le gabarit a été un peu perdu chez les mâles à mon sens. J’ai un recul complet sur les 14 premières portées qui pour l’heure montre de bons résultats en terme d’apparition et surtout d’âge d’apparition des tumeurs mammaires. Les âges de décès sont aussi assez bons à mon sens (moyenne de 26,77 mois sur l’ensemble des ratons nés à la maison). Il n’y a pas de récurrences de maladies trop « exotiques » à mon goût. Non, objectivement je suis contente.
Huit ans, c'est une belle longévité pour une raterie, qu'est-ce qui te permet de continuer là où d'autres arrêtent ?
Je suis assez tenace et têtue, j’apprends, je me trompe, je réfléchis dans l’ombre à des solutions. Je ne m’avoue pas vaincue aussi facilement même si je suis capable d’arrêter une lignée si des soucis trop importants surviennent, ou que les caractères ne me plaisent pas. Avoir un enfant entre temps ne m’a pas fait arrêter. Je me remets constamment en question malgré les apparences et je garde toujours en tête d’essayer de faire au mieux. J’ai sûrement eu aussi de la chance d’avoir peu de portées qui ne fonctionnent pas et d’avoir pu gérer, seule ou accompagnée par Elyanna qui a repris la raterie de Thalie et qui travaille la même lignée. À deux on peut se permettre de faire partir de la maison de potentiels reproducteurs et de pouvoir retomber sur nos pieds en cas d’échec. J’ose aussi des choses, même si ça ne va pas forcément plaire à tout le monde. En bref, je pense être encore là pour un petit moment, sauf catastrophe.
De quoi es-tu la plus fière ?
ALC Olive, décédée à 4 ans et 6 jours, et qui est mon record de longévité (et je crois du LORD… à moins qu’un autre rat ait fait mieux ?). À ma connaissance c’est le seul « cas » où tout est prouvable. J’avais fait la demande au Guinness World Record mais on s’est fait avoir sur un point… on avait postulé pour le record du plus vieux rat « vivant »... Or elle était déjà décédée, du coup ils ont refusé. Record à battre = 4 ans (avis aux candidats). Sinon je suis très fière de la longévité des petits nés chez moi, ainsi que ceux vivant chez moi (c’est que ma façon de faire ne doit pas être si mal que ça au final).
Tu es membre du Nederlandse Knaagdierenfokkers Vereniging (NKV) et de la National Fancy Rat Society (NFRS), peux-tu nous détailler ton implication ?
La NFRS c’était surtout pour avoir accès aux éleveurs, aux standards, recevoir leur magazine, etc. C’est plus de la curiosité et actuellement mon planning et mes finances ne me permettent pas d’aller faire un saut en Angleterre. Peut-être plus tard. La NKV c’est du plus concret. J’ai participé à plusieurs shows chez eux, et j’ai traduit leur standard en français. Je regrette de ne pas avoir pu faire mes deux shows habituels cette année, par manque de temps. J’espère pouvoir réitérer bientôt.
Es-tu inverstie dans des projets autour du rat en France également ?
Je participe à la création du standard français en vue de futurs shows SRFA, c’est déjà un gros boulot. Si l’association a besoin de moi, que je suis disponible et que c’est dans mes cordes, il n’y a pas de soucis !
En 8 ans d'élevage, as-tu atteint les objectifs fixés à tes débuts ? D'ailleurs quels objectifs visais-tu en démarrant ? Est-ce les mêmes aujourd'hui ?
Je m’étais fixée pour objectifs d’adoucir le caractère de ma lignée, tout en diminuant la faiblesse aux soucis respiratoires et oculaires du début. Le SDA de 2014 ne m’a pas aidée en terme de résistance aux soucis respiratoires mais ce n’est pas la catastrophe pour autant maintenant. Aujourd’hui je cherche à maintenir une bonne longévité (minimum syndical deux ans) ; des tumeurs mammaires qui, si elles doivent apparaître, pas avant deux ans ; des rats sympas, bien dans leur tête et qui ne feront pas trop de vagues à l’adolescence ; et retrouver des rats mâles avec un gros gabarit (pas de soucis sur mes filles à ce niveau).
Quelles sont tes méthodes de travail ?
Pour la lignée PED j’ai commencé comme la majorité des rateries de l’époque : on se construit un pool de premiers rats qui seront censés être les fondateurs, issus de familles qui tiennent la route et se complètent. Puis après quelques générations, et la variété PED n’étant que trop peu développée, je me suis intéressée au linebreeding, la consanguinité éloignée si on peut dire. Cela me permettait de faire ressortir les soucis apportés au fil des croisements antérieurs (s’il y en avait) et ainsi m’assurer de la pérennité de cette lignée ou non. Pour la lignée Chocolat, on a fait différemment. C’était un projet dont on parlait depuis quelques années avec Elyanna, sans trop se prendre au sérieux. Et un jour on a eu l’opportunité d’adopter des rats anglais puis polonais (venus en Blablacar… comme quoi la distance, ce n’est rien !). On avait regardé combien il nous aurait fallu de mâles et de femelles pour commencer, je m’étais basée sur un plan de reproduction que faisait l’éleveuse anglaise Ann Storey. C’est une méthode qui n’est pas à la portée de tous, en gros, consanguinité et sélection pure et dure, sans sentiment, en restant objectif, le but étant d’obtenir rapidement des résultats et savoir si on continue ou pas. L’achat de la seconde Royal allait être obligatoire, ainsi que des Alaska pour pouvoir élever et caser tout ce petit monde. J’ai croisé un de mes mâles « PED » avec une rate de la famille « terrario » pour avoir un mâle « fondateur » à croiser avec les rates anglaises, car en terme d’âge ça aurait été trop tard. On devait garder sur chaque portée 2-3 mâles et 3 femelles, et suivre tout un programme de reproduction. On a gardé les deux premières générations chez nous, en réduisant les portées à 5-6 individus dont 2-3 de chaque sexe pour ne pas se retrouver envahies.
Au final, les portées anglaises/polonaises ont été suffisamment petites pour ne pas avoir à faire de culling (pratique consistant à tuer à la naissance une partie des ratons, généralement les moins intéressants physiquement) à chaque fois. Si on devait retirer des petits, c’était à la naissance et personnellement je ne gardais que les plus gros mâles et femelles. On n’a appris que bien plus tard qu’on pouvait différencier un raton chocolat d’un mink, par exemple, à la couleur des yeux des ratons à la naissance.
Au final, cette méthode a eu plusieurs inconvénients :
▶ même si on conservait peu de ratons… ça faisait au minimum 4-6 bouches de plus à nourrir et pour deux ans minimum ;
▶ le nombre de rats sur un an allait exploser, du coup (je pense qu’ailleurs, le replacement des individus une fois qu’ils ont « servi » est de mise) ;
▶ on perdait des données en retirant des petits, forcément.
Donc on est très rapidement revenu au schéma classique, qui permet de garder toutes les infos sur tous les ratons tout en évitant le surpeuplement : les faire adopter. Quand des personnes demandaient s’il y avait des ratons disponibles, ils remplissaient mon formulaire comme tout le monde, ils étaient mis au courant que c’était une nouvelle lignée avec zéro recul et tout ce qui avait été fait en amont. Faire ce choix allait impliquer autre chose, officialiser cette lignée à la communauté, 1 an plus tard.
Tu as également un élevage "alimentaire" de terrarium, peux-tu nous en dire plus ?
Nous avons des serpents depuis plusieurs années maintenant (python regius, lampro, gutt). C’était au départ une idée de monsieur, puis j’ai voulu avoir mon serpent, puis nous avons recueilli deux pythons maltraités et ainsi de suite, pour arriver à 8 serpents aujourd’hui. Au départ on achetait des proies congelées en animalerie… mais vu l’état des proies, on se doutait que leur mort n’avait pas été très douce, et on n’avait aucune traçabilité sur quoi que ce soit. Monsieur a un jour pris un couple, qui a eu des petits, et c’est ainsi que cet élevage a démarré. Gérer la chaîne alimentaire de A à Z m’a semblé être une bonne chose. Officiellement c’est à Monsieur. Officieusement… quand je nourris ou nettoie les uns… je fais les autres aussi. On conserve toujours un ou deux mâles reproducteurs qui finissent leurs jours à la maison, on garde aussi deux rates pour les portées. Quand elles sont gestantes les mâles retournent dans leurs quartiers histoire de ne pas faire s’enchaîner les portées. Elles font 2-3 portées, on garde une fille ou deux et comme elles sont grandes, elles partent pour des serpents plus gros. La plupart ne sont pas manipulables, mais il m’est arrivé d’en garder une ou deux. Là j’ai une dumbo avec un œil crevé, elle est super cool donc elle reste. Des fois on crée un peu de liens ! Du coup elle sert de nounou et bouillotte quand il y a des petits. Les gros mâles c’est un peu gros pour les serpents donc ils sont gardés car tuer pour rien ce n’est pas le but. Même si on a 8 serpents, il n’y a pas besoin de faire 15 milles portées pour nourrir tout le monde, et on doit aussi faire grandir les petits jusqu’à un certain stade pour certains serpents plus gros. On essaie de conserver une certaine éthique (mort par CO2 sans souffrance, bouchons Teklad, cage Alaska pour les femelles et les deux mâles vivent avec les mâles de la raterie), sans oublier que c’est de l’élevage à but alimentaire.
Comment fais-tu pour gérer ces deux élevages qui peuvent paraître au premier abord antinomiques, notamment sur le plan affectif ?
On ne crée pas de liens avec les petits, sinon on garderait tout le monde et ce n’est pas le but d’un élevage alimentaire. C’est un autre monde on va dire. Je faisais au départ un suivi pour voir s’il y avait une différence entre l’élevage alimentaire et domestique. Et je me suis rajoutée le chocolat donc j’ai laissé tomber. On en a gardé quelques uns au final… surtout des mâles. Mais il faut être détaché et garder en tête qu’on ne peut pas garder tout le monde, sinon ce n’est plus possible.
As-tu eu de gros coups durs ? Si oui, qu'est-ce qui t'as permis de les surmonter ?
Il y a eu le SDA de 2014, qui a coûté la vie à ALC Hydromel ainsi que deux de ses petits. J’ai gardé quasiment toute la portée et Elyanna en a pris deux chez elle. Elle avait une rate allaitante qui a pris en charge mes petits. L’autre gros choc aura été la perte de la petite ALC Extra Zytnia. Elle avait été bien intégrée, elle était super gentille, douce, attachante, la petite chouchou. Elle s’était pris un coup de dent au niveau du ventre, blessure type « peau de lapin » donc qui se referme seul assez rapidement. J’avais quand même pris rdv au véto le lendemain pour m’assurer que ça irait. Le jour J je vais pour la prendre, je l’ai cherchée dans la cage, je soulève alors une « maison » et je n’ai retrouvé qu’un tapis de poils… Je n’avais encore jamais perdu un rat de cette façon et c’est la chose la plus horrible qui soit.
Actuellement tu as deux familles, une orientée vers le PED et une vers le chocolat, es-tu satisfaite des résultats ?
Je suis satisfaite de la lignée PED. La lignée chocolat ça reste à voir. On s’est fait quelques frayeurs en terme de santé avec Elyanna sur les « polonais », d’où le brassage avec un maximum de sang Anglais, qui nous a paru « mieux ». Nous en sommes actuellement à 2 ans de recul et j’ai déjà arrêté 2-3 familles, entre le caractère qui ne va pas, une rate qui me mange toute la portée, etc. Je suis ce que la « nature » essaie de me faire comprendre. Si tel couple ne fonctionne pas au bout de deux essais c’est qu’il doit y avoir un souci, donc ne va pas plus loin… Et souvent, ça se solde par un arrêt de cette famille là car d’autres soucis arrivent plus tard. Mener deux lignées pendant deux ans aura été éreintant… double de portées, donc double de cages, de nourriture, de litière, de séances photo, d’adoptants, de suivi… j’ai frôlé le burnout quelques fois. J’avais les capacités financières et logistiques pour… mais plus jamais ou alors différemment… et nous étions 2 sur ce projet… La première génération vieillit et les soucis de santé qui vont avec apparaissent, et quand on garde X rats par portée, ce sont X potentiels soucis à gérer presque au même moment. C’est passionnant de voir naître une nouvelle lignée et un gène que l’on n’avait pas en France. Mais c’est aussi un énorme travail.
As-tu d'autres projets dans le futur ?
Le gros projet 2020 c’est de réunir mes deux lignées, et donc repasser à 6 portées par an. Si tout va bien ça fera moins d’individus à garder, ma troupe va réduire naturellement et d’ici deux ans j’espère revenir à un groupe à taille plus humaine. Je croise les doigts pour que ça aille, que je n’aie pas de mauvaises surprises et que je ne perde pas le fruit de 8 ans de travail concernant la lignée PED. Ça sera déjà pas mal pour ma part !
Texte : Tani. Photos : Becaria.
EDS n°09 janvier 2020